Les Innommables

LES INNOMMABLES

Texte Jean-Paul GAVARD-PERRET, poète et critique littéraire

J’ai toujours eu l’intime conviction que les images parlaient avant moi; comme une forme d’expression qui de toute façon me dépassait d’autant plus qu’elle était nécessité. Avec ces trois séries d’images : Homme des Plaines, Homme des Montagne, Hommes des bords de Mer – que Jean-Paul Gavard-Perret nommera « Les Innommables » – j’avais pour fil conducteur la relation qu’entretient aujourd’hui l’Homme avec la Nature. Qu’est-ce qui se joue dans ces espaces a priori « naturels » pour que l’on se demande comment distinguer la fiction de la réalité ? Comment la mort –sous forme de parcelles et comme aseptisée – lutte avec la vie des espaces naturels ?C’est dans ce sens que j’ai essayé de dévoiler l’absurde de l’humanité.En même temps qu’il vient nourrir mon récit photographique de sa clairvoyance, le texte de J.P. Gavard-Perret apporte plusieurs pistes de réflexion.

corinne rozotte, fev. 2017

 Peu à peu l’homme n’a plus de nom. Il n’est que sa déclinaison, son paysage défait dans un monde sans identité. Il est seul au milieu des montagnes, dans les mornes plaines ou en bord de mer. (…)

Corinne Rozotte mêle l’enquête au symbole. Ses personnages n’ont plus que devant eux et de quelque côté qu’ils se tournent une longue et sombre coulée là où l’homme rêve encore au « mirage » d’union entre lui et la nature. (…) Restent les rehauts assourdis d’un monde que les êtres humains subissent après l’avoir saccagé. La photographe nous amène vers une poésie du réel où ce qui est considéré comme merveilleux est grevé de pertes irrémédiables.

Montagnardes, de plaines ou de mer, les images deviennent plénières. Chacune crée la reconstruction d’un imaginaire d’alarme tout en suggérant une remise en cause de ce qui disparaît ou a déjà disparu. Une rhétorique de l’effondrement court au milieu des cimes, dans les bottes de paille. Et les hommes deviennent du même tabac. (…)

Les champs deviennent nus pour souligner le fait de ne plus être pareil à ce qu’ils furent. L’être humain y erre, se couche, étreint ce qui le tue. Il plonge dans le néant comme dans l’anonymat.

Corinne Rozotte évacue la visibilité admise pour un au-delà de la vue dans ce mouvement qui est toujours inachevé, qui exclut tout terme, tout repos. Ce travail représente une instabilité « foncière » avec plusieurs évocations d’une certaine beauté du paysage là où progressivement il se grève. Finit le rêve. L’image casse le romantisme. Elle conduit vers le silence en une descente, ou une ascension, au plus près de la vérité du temps. L’être ne veut pas forcément en finir mais il éprouve un sentiment d’absurdité.(…)

Aux potentialités d’ouverture d’un monde se substitue l’annonce d’un anti-monde. Ce travail d’épuisement requiert un effort titanesque à l’opposé de toute faiblesse. Car là où surgit l’apparente pauvreté du paysage ou sa déréliction le but à réussir est bien « viser » et visualiser ce qui se passe et qui efface les illusions prométhéennes d’une humanité nombriliste.

Corinne Rozotte crée la poétique de la misère dans ce glissement vers l’absence. L’être trébuche, titube sur un chaos encore latent mais l’abîme est déjà ouvert. Il fait ressembler la nature à un ouvrage volontairement abandonné de toute vision idyllique. (…)

Ce qui fut prend des figures de fantômes là où l’image montre ce qui est en train de se passer. L’artiste tente de faire comprendre la stupidité de la « civilisation » et voudrait en souligner, mais pour s’en dégager, l’horreur implicite.

Montagnes, plaines et bords de mer deviennent des espaces d’errance ; de vide, de solitude physique si bien que l’on vient à douter de l’existence dans un imaginaire de chaos face à une nature mère.

(…)

Jean Paul Gavard-Perret, janv.2017